Ces petites douceurs chocolatées, avec leur meringue moelleuse et leur enrobage craquant, ont accompagné les goûters de nombreuses générations en France. Vous vous souvenez peut-être de cette joie enfantine quand vos parents vous offraient cette pâtisserie à la forme si reconnaissable ? Pourtant, derrière ce plaisir sucré se cache une appellation qui fait aujourd’hui débat. La « tête-de-nègre », comme on l’appelait autrefois, traverse une transformation nécessaire dans notre société contemporaine. Sans perdre sa saveur ni son attrait, cette friandise emblématique change progressivement de nom pour s’adapter aux sensibilités actuelles. Cette évolution linguistique, loin d’effacer nos souvenirs gourmands, nous invite à réfléchir sur le poids des mots tout en préservant notre patrimoine culinaire.
Origine et histoire de cette pâtisserie traditionnelle
L’histoire de cette gourmandise remonte au début du XXe siècle, avec une possible origine québécoise. En effet, c’est au Canada que Théophile Viau, fils du fondateur de la biscuiterie Viau, aurait eu l’idée vers 1901 de déposer de la guimauve sur un biscuit à la vanille avant d’enrober le tout de chocolat. Cette création, d’abord baptisée « Empire », deviendra plus tard le célèbre « Whippet » canadien après quelques modifications de recette pour en réduire le coût.
En France, la version traditionnelle se compose généralement de deux demi-sphères de meringue collées par de la crème au beurre et au chocolat fouettée, le tout enrobé d’une couche de chocolat et parfois saupoudré de paillettes chocolatées. Quant à l’expression controversée « tête de nègre », elle est apparue dans l’Hexagone pour la première fois en 1829, soit dix-neuf ans avant l’abolition définitive de l’esclavage, alors que la France était une grande puissance coloniale. À l’origine, cette expression désignait simplement la couleur d’un vêtement, avant d’être associée à cette pâtisserie en raison de sa couleur sombre.
Pourquoi rebaptiser cette douceur chocolatée ?
La remise en question du nom traditionnel de cette pâtisserie s’inscrit dans une prise de conscience collective sur l’impact des mots. L’appellation « tête de nègre » véhicule des connotations racistes qui sont devenues inacceptables dans notre société actuelle. Ce terme, autrefois utilisé sans questionnement, est aujourd’hui considéré comme offensant et inapproprié, rappelant douloureusement l’époque de l’esclavage et de la colonisation.
Notre époque valorise un langage plus inclusif et respectueux, reconnaissant que les mots ne sont jamais neutres et peuvent perpétuer des stéréotypes blessants. Le changement de nom de cette pâtisserie ne constitue pas un effacement de l’histoire, mais plutôt une adaptation nécessaire qui reflète l’évolution de nos valeurs sociales. Cette démarche s’inscrit dans un mouvement plus large de sensibilité linguistique et culturelle qui touche de nombreux domaines de notre quotidien, de la gastronomie aux produits de consommation courante.
Les appellations alternatives adoptées par les pâtissiers

Face à la nécessité de rebaptiser cette gourmandise, les pâtissiers français ont fait preuve de créativité en proposant diverses appellations alternatives. La « tête au chocolat » ou « tête-choco » sont parmi les noms les plus répandus aujourd’hui, mettant l’accent sur l’ingrédient principal plutôt que sur une référence culturelle problématique. Dans certaines régions, on trouve des variantes comme la « boule meringuée au chocolat », l' »arlequin », ou encore le « Mérichoco », nom commercial adopté par certains fabricants.
Dans le Nord de la France, cette pâtisserie est parfois appelée « merveilleux », bien que ce terme désigne traditionnellement une autre spécialité lilloise. Ces nouveaux noms ont l’avantage de se concentrer sur les caractéristiques gustatives et visuelles du produit : sa forme sphérique, sa composition à base de meringue et de chocolat, ou simplement son aspect délicieux. Cette approche descriptive permet d’éviter toute connotation culturelle négative tout en conservant l’identité culinaire du produit.
Réactions des consommateurs face à cette évolution
Le changement de nom de cette pâtisserie emblématique suscite des réactions variées parmi les consommateurs français. Certains expriment une forme de nostalgie et une résistance au changement, considérant que modifier l’appellation traditionnelle efface une partie de leur patrimoine culturel et de leurs souvenirs d’enfance. Ces personnes perçoivent parfois cette évolution comme une forme d’excès de politiquement correct.
À l’opposé, de nombreux consommateurs soutiennent activement cette transition vers une communication plus respectueuse, reconnaissant l’importance d’adapter notre langage pour éviter de perpétuer des termes offensants. Entre ces deux positions, une majorité silencieuse s’adapte progressivement à ces nouvelles appellations, acceptant que le langage évolue naturellement avec la société. Cette transition, bien qu’imparfaite et parfois contestée, témoigne d’une prise de conscience collective sur le pouvoir des mots et leur impact sur les personnes concernées.
Comparaison avec d’autres pays et cultures
La France n’est pas le seul pays à avoir entrepris cette démarche de renommage. À travers le monde, des pâtisseries similaires ont connu des évolutions comparables. Au Canada, cette friandise est commercialisée sous le nom de « Whippet » depuis les années 1920, évitant ainsi toute connotation problématique. En Finlande, les « baisers de nègres » (neekerinsuukot) ont été rebaptisés « baisers de Brunberg » (Brunberginsuukot) en 2001, du nom de leur fabricant.
En Allemagne, le Negerkuss (« baiser de nègre ») ou Mohrenkopf (« tête de maure ») est devenu Schokokuss (« baiser au chocolat »). Aux Pays-Bas, les Negerzoenen ont été simplifiés en Zoenen (« baisers ») dès 2006. En Suisse germanophone, le terme Mohrenkopf reste utilisé, tandis que la Suisse francophone a adopté « têtes choco ». Cette évolution internationale montre que la sensibilisation aux questions linguistiques dépasse les frontières et s’inscrit dans une tendance mondiale vers un langage plus inclusif.
L’opportunité marketing derrière le changement
Loin d’être uniquement une contrainte, ce changement de nom représente une véritable opportunité marketing pour les artisans et les industriels. Certains pâtissiers ont saisi cette occasion pour redécouvrir et mettre en valeur les qualités uniques de ce dessert à travers des campagnes promotionnelles novatrices. La nouvelle dénomination permet de rajeunir et moderniser l’image de cette pâtisserie traditionnelle, la rendant plus attractive pour les jeunes générations et les consommateurs soucieux d’éthique.
Des artisans comme L’Atelier de Laurent ont développé « La Véritable Tête au Chocolat », travaillant sur une recette artisanale de qualité supérieure qui met l’accent sur l’excellence des ingrédients et le savoir-faire pâtissier. Ce repositionnement qualitatif s’accompagne souvent d’un packaging repensé et d’une communication axée sur l’authenticité et la tradition réinventée. Le changement de nom a ainsi permis d’élargir la distribution de ce dessert à de nouveaux marchés, où l’appellation originale aurait pu être mal perçue ou mal comprise.
Le futur de cette pâtisserie emblématique
Malgré son changement de nom, cette pâtisserie traditionnelle a toutes les chances de continuer à séduire les palais français dans les années à venir. Les artisans pâtissiers explorent de nouvelles variations gourmandes autour de cette recette classique : versions au chocolat noir intense pour les amateurs de saveurs profondes, déclinaisons au chocolat blanc pour un contraste visuel saisissant, ou encore intégration d’épices et de saveurs exotiques pour surprendre les gourmets.
Nous observons une tendance au positionnement haut de gamme de ce produit, avec l’utilisation de chocolats d’origine, de meringues artisanales et de garnitures raffinées. Certains pâtissiers proposent des versions revisitées pour les occasions spéciales, comme des formats miniatures pour les buffets de réception ou des versions personnalisées pour les célébrations. Cette réinvention perpétuelle, associée à un nom désormais en phase avec les valeurs contemporaines, assure à cette friandise emblématique un avenir prometteur dans le paysage pâtissier français, prouvant qu’adaptation et tradition peuvent parfaitement coexister.